Contes et légende de ma vie privée

18/01/2013 16:23



A propos;

En 1980, elle s' adonne à l' écriture de son premier ouvrage : "Un éditeur m' a demandé d' écrire mes mémoires. On m' avait dit "Ne vous faites pas de soucis, quelqu' un va venir avec un magnétophone pendant deux heures. Il vous fera cela aux petits oignons". J' ai cru que j' allais les tuer ! Je suis rentrée à Genève et je me suis dit que les mémoires, c' était impossible, mais j' ai commencé un brouillon de nouvelles, en me disant : soit ils me renvoient le manuscrit, soit l' idée des nouvelles les séduit, et on pourra les retravailler ensemble. J' ai donc envoyé le tout, et quand on m' a convoyée, c' était pour me montrer la chose déjà imprimée. Je pense qu' ils ne l' ont jamais lu. Le livre est sorti sous le titre "contes et légendes de ma vie privée". Comme ils espéraient une biographie dans laquelle on aurait pu lire que j' avais eu une aventure torride avec Delon, Ronet, Belmondo ou, mieux, les trois en même temps, le titre a dû leur suffire [...]", se souvient Marie Laforêt. Même si, avec le recul, elle en parle avec humour, insistant sur le fait qu' on ne lui ait pas suffisamment donné le temps de peaufiner son ouvrage, Marie Laforêt surprend une nouvelle fois. Elle y révèle un véritable talent d' écrivain.

Ce livre constitué de onze nouvelles et écrit d' une plume vitriolée -à la troisième personne-, compose un portrait kaléidoscopique de Marie Laforêt qui tend à la démystification. 


L' avant-propos, intitulé "Lettre à mon éditeur en forme de porte-clefs", déjà en dit long. En plus d' avoir une fonction de décodeur destinéà démsquer les personnages cités plus loin, il met en scène une mouche déclarant : "Z' yeux d' or, mon cul !". Cette messagère, qui peut s' introduire dans tous les interstices de l' intimité et tout observer, est le symbole de la conscience de la narratrice. Sa conscience que ses yeux, objets de cul(te), lui ont souvent permis de survivre et qu' elle les a parfois marchandés, sa conscience du dérisoire de la périphrase "La fille aux yeux d' or" inscrite pourtant dans la mémoire. 

 
En règle générale, Marie débute chacune de ses nouvelles dans un style très classique, -à la façon d' un conte de Perrault, d' une tragédie grecque...-, puis, emportée par un élan humoristique, licencieux ou accusateur, elle introduit brusquement un ton plus personnel, anticonformiste. Ce qui met l' accent sur le contraste entre la légende et la réalité. 


Ainsi en est-il pour la première nouvelle, intitulé sobrement "Il était une fois...". Ce récit, empreint d' un romantisme exacerbé frôlant le bovarysme, où Aurore, une princesse r^veuse se prépare soigneusement à une merveilleuse histoire d' amour, se cogne brusquement à la réalité avec la phrase prononcée par le prince à l' issue de leurs ébats amoureux : "C' est pas tout ça, maintenant va te laver et rentre chez toi". Et Marie Laforêt poursuit : "Trouver son chemin à trois heures du matin en forêt de Brocéliande n' est pas à la portée de tout le monde. Aurore cependant trouva son chemin ainsi qu' une place de trapéziste dans un cirque (...)". Est-il utile de préciser que cette nouvelle est dédiée à Louis Malle, qui introduisit la jeune Maïtena dans le "cirque" du show business ? 

 
Cette première déception amoureuse est révélatrice de la vie affective blessé que la star connaîtra la plupart du temps, au cours de sa vie. Elle qui veut s' offrir à coeur perdu, elle qui veut qu' on l' aime en entier, qu' o ndésire son âme autant que son corps, qu' on aime aussi son squelette... s' est longtemps et régulièrement déchirée aux griffes des hommes. Privilégiant le paraître au détriment de l' être, ils ne l' ont aimée que superficiellement, ne s' attachant qu' a l' image publique et ne faisant pas l' effort de casser l' écorce extérieure pour s' unir à son âme. Cela est superbement narré dans "Un diner en ville". Il y a là des passages bouleversants de profondeur ! Au départ, Marie nous brosse le portrait objectif d' un "play-boy" séducteur qui a toute son admiration : "Ah James Edouard, vous dansez la pavane à merveilles ! (...) Vous m' avez fait l' érudit, le philosophe, vous m' avez fait le ski (...). La godille facile, le slalom dans la hanche, vous laissant tâter, malgré la distance, la fermeté des cuisses. Et vous venez vers moi, sans me voir, apparemment, tout occupé par l' effort, vous stoppez dans l' écume. D' un geste qui vous est familier, vous relevez de votre main droite une mèche de vos cheveux trp cours pour vous gêner vraiment (...) Parlons chiffres, donnez-moi à entendre que vous êtes serieux, irréprochable, efficace, que j' ai enfin trouvé l' homme qui va me protéger, m' aider, me soutenir. Vous m' éblouissez ! (...) Déjà. Moi, je saurais : "Je l' aime"; et vous, vous penserez : "C' est ce soir que je la baise." (...). Alors, à partir de là le ton monte, et brusquement le couperet de la réalité tombe. La colombe se change en loup hurlant sa douleur devant la lâcheté des hommes qui, au lieu d' accompagner la souffrance, prennent la fuite face à la Femelle,n de larmes, de sueur et de sang : "(...) Tu ne connais, tu ne vois, tu ne veux que l' image, la peau, l' écorce, l' apparence, comme un sorbet de femme : que sais tu de cette fabricateuse, et subtile et complète, et pleine de sang, que sais-tu d' un corps femelle ? (...) Et que dire de ces gros fruits que l' on pousse hors du ventre ouvert comme une grenade éclatée ? (...) Tu as fait l' apprenti sorcier avec ta sexualité de magazine. L' amour, ç' aurait été d' aider juste à ce moment-là, ç' aurait été d' aimer, de respecter ces yeux cernés, cette peau jaune et transpirante, ç' aurait été de mettre tes poings là, sur le haut du ventre pour aider, faire naître mettre au monde, dans une aurore rouge et viscérale. Etre partie prenante et pas partie bernée. Tu vois ? tu piges ? Les pédés, ça m' a jamais fait peur parce qu' au moins ils annoncent la couleur. Ce que je dégueule ce sont les irresponsables, les virils qui mettent la main devant la bouche en regardant l' enceinte, la parturiente, comme une demoiselle qui roterait. (...). Je te vois déjà en train d' apprécier mes rides, mes misères comme une incongruité, une grossièreté. Pardon, madame, je rends l' objet, il y a tromperie ! J' ai acheté une image parfaite, pas cette réalité qui vieillit, qui va finir par nous faire des varices ! ... Moi, tes varices, je les aime à genoux, petit con ! Tes misères m' émeuvent, me bouleversent, me chavirent de tendresse. Tu comprends ça ? Non t' as rien compris (...)". Cette nouvelle, une des plus belle et poignante du recueil, en plus de constituer une réglement de compte personnel de Marie, pose un accent aigu sur la lâcheté de l' homme face à la femme sur un plan universel et intemporel. Et même si les époques changent, si les générations passent, elle demeure d' une éternelle actualité. Qui ne se sent pas (con)cerné ? Sans commentaires, laissons vibrer l' émotion pure. 


Dans "L' amant d' Yvette Châtrelet" -dédiée à Michel Simon-, nouvelle baignant dans le délice d' un humour licencieux, "La fille aux yeux d' or" nous fait un clin d' oeil complice. En racontant l' histoire du pauvre Gabriel, garde-chasse simple d' esprit abusé sexuellement par Yvette, vicieuse fillette de huit ans, Marie Laforêt nous fait un signe, racontant à l' envers le drame d' enfance dont elle fut victime. L' humour est, on le sait, la politesse du désespoir. : "(...) Yvette a mis le doigt dans la fente du velour côtelé et trouve le responsable, mais le coupable sort du pantalon tête haute. Rouge et haute. "Ah, ah ! s' écrit Yvette, monsieur fait le malin ! mais je vais le punir moi ! Mais je vais luirabaisser son caquet". Chaque phrase est ponctuée d' une petite tape sur le museau qui met Gabriel au supplice. "Mais je vais le couvrir de graisse de bison et le faire dévorer par les fourmis rouges ! -Non, non pas le bisons ! implore Gabriel. - Si, si les bisons!" dis Yvette, qui de ses deux mains raclant le beurre de son "quatre heures" enduit l' espion de bas en haut, puis de haut en bas (...). Et quand enfin Yvette, à califourchon sur lui, se laisse glisser sur la hampe du drapeau, bougeant ses fesse habilement, Gabriel fait : "Ahh ! oui, oui, oui, encore, ah ! oui i i (...)". La différence essentielle avec tout événement en relation avec une quelconque réalité, réside dans le fait que le malheureux Gabriel sera condamné par le tribunal, et que "maman chérie" consolera la pauvre Yvette, victime de violences insensées. Donc, puisqu' il n' est pas encore possible de parler précisément de ce drame d' enfance, autant le déguiser en farce hilarante, sous l' oeil complice du grand Michel Simon ! 


Dans cette série de nouvelles aux accents pamplhlétaires, qui ne sont pas sans nous rappeler les Caractères de La Bruyère, Marie Laforêt expose également -plus qu' elle ne dénonce, celà n' est pas dans sa nature- la bêtise en général. Elle ne nous épargne pas d' un portrait du Show business qui, dans "La coque-à-trucs", met en scène des personnages grotesques et ridicules. Mais enfin si ce milieu était si artificiel, si cupide et "crétain", cela se saurait ! Cette caricature magnifique, juste, profonde et construite comme une pièce de théâtre antique, constitue aussi une incitation à la reflexion sur une préoccupation dominante chez Marie Laforêt : le paraître qu' on privilégie au détriment de l' être. Et cela à travers la fabrication des idoles qui, malgré leur manque d' authenticité, se gravent dans l' inconscient collectif sous la forme de mythes : 


Aurore : s' il en est ainsi pourquoi insister autant pour que je mette un maillot, des paillettes, du rouge ? pourquoi cet attirail de cocotte ? 

Minos : Pour te déguiser en majuscule puisque tu n' en ai pas une ! 
Aurore, hors d' elle : Ah ! Mais vous m' échauffer les oreilles avec votre Majuscule ! Et d' abord qu' est ce que ça veut dire, ça, être déguisé en majuscule ? 
Minos, très doucement : Ca veut dire ressembler à un mythe ! Renoncer à soi pour devenir le Mythe. 
Aurore, toujours hors d' elle : Mais à quoi celà peut-il servir ? les Crétains s' en servent comment ? un Mythe le matin à jeun et un autre au coucher je suppose ? 
Minos : C' est ça fait la maline ! Rigole ! mais c' est ça, exactement, exactement ! Dès la naissance ils savent que la mort a commencé et ils peur; alors ce sont de pauvres petits Crétains amoureux de leurs maman, du ventre protecteur de leurs mamans, parce qu' ils ont peur de la mort. Le Mythe c' est l' antidote à la mort, c' est la permanence, le signe de l' éternité des dieux. (...)"
 


La bêtise est également présente dans "Le bon enfant" où la narractrice décrit l' ascension d' un jeune étudiant sot et sans esprit critique et que l' on inscrit, à L' E.N.A. Son père -s' adressant à sa femme- dit de lui "(...)Mais, mon amie, il est trop bête ! Il n' y a que dans la politique qu' il puisse surnager (...)". Cet enfant finira chef d' état, parce qu' il manque de talent. Vous avez sans doute compris de qui il s' agit ! ^^ 


L' aversion de l' auteur pour la politique est également exprimée dans la délicieuse nouvelle "Le dernier des cons", remettant en question le clivage simplificateur gauche/droite : "Donc, un matin, à Paris, il fut décidé que tous les cons devaient être noyés. Ainsi que les chômeurs. Pourquoi les chômeurs, me direz-vous ? On émit des hypothèses dont celle que les partis de droite voulaient se débarrasser à bon compte d' un problème d' emploi dont ils n' arrivaient pas à sortir, et que les partis de gauche, dans la foulée, pensaient le moment venu de noettoyer le terrain des connards de la droite (...)". Cette fable anarchisante qui contient des passages hilarants, ridiculisant le marasme politique , constitue en fait un éloge de la Suisse : "(...) [Rody Duroi] avait été prévenue de ce qu' en Hélvétie elle serait malheureuse car le pays entier était peuplé de cons qui étaient si bêtes qu' ils en étaients arrivés à ne pas s' en apercevoir. De fait, en descendant du tran, elle fut surprise de l' air en bonne santé de ces gens-là. Propspères, tranquilles, vaquant à leurs menues occupations; ils allaient leur chemin. Sans se douter de rien. Rory Duroi, ses valises à la main, resta songeuse un moment sur le quai propre(...)". Et vlan ! 

 
Dans son ouvrage Marie Laforêt se laisse également aller à décrire la simple beauté mystique des choses, comme dans "African Nervous Breakdown" -où elle est esquisse un portrait sensible de l' Afrique pure et luisante, chère à son coeur- et dans "Paraguay". Cette nouvelle, baignée par le mythe de la genèse des chutes de l' Iguazu, met en scène la légende d' un couple Javier et Dolores. Depuis leur mariage, Javier est méconnaissable, il pressent que sa femme le trompe. En effet, elle est "sensuellement" aimantée vers la cascade à qui elle donne en offrande la nudité de son corps. Ainsi, elle pénètre le secret de la jungle, de la terre et de l' eau. Les deux amants font sceller leur amour en se jetant tous les deux dans "(...) une écume de gerbes d' eau, de blancheurs, de choses diaphanes qui partaient en mourrant vers le ciel en vapeurs plus volatiles (...)" 
 
On peut donc s' apercevoir que Contes et Légendes de ma vie privée contient en filigranes toute l' intimité de Marie Laforêt et cela de façon plus évocatrice qu' il n' eût été possible de la traduire dans des mémoires habituels. Les critiques littéraires ne s' y trompent pas, y décelant toute la beauté, l' insolence, la gravité et le mysticisme, dignes du talent d' un véritable écrivain. Maire participe donc à de nombreuses émissions littéraires, notamment à l' occasion du Salon du Livre, et surtout à Apostrophes de Bernard Pivot, le 22 mai 1981. Le public y découvre une Marie Laforêt inédite et inattendue. Elle est confrontée à des "intellectuels" et, dénigrant son ex-métier de chanteuse qu' elle qualifie volontiers d' art mineur, elle s' impose, armée d' une éloquence, d' une érudition qu' on ne lui connaissait que fort peu. La femme d' esprit, parfois bardée d' insolence, a supplanté la chanteuse populaire. 
Mais tout cela prote tort à sa vie privée. Cette ascension culturelle a contribué à produire des interférences entre Marie Laforêt et son image publiques qui s' introduit dans son propre couple. Marie avait tout fait pour que ce phénomène n' ait pas lieu. Après avoir accompli tant d' efforts pour abriter sa légende et préserver sa vie affective, elle se retrouve prisonnière de son propre piège. Tous ses sacrifices destinés à s' occuper de son mari, non seulement sont vains, mais ont fait en sorte qu' elle a délaissé son activité professionnelle. Alors, en 1982, elle se trouve confrontée à la faillite de sa galerie d' art -dont elle n' avait plus le temps de s' occuper pleinement- et ... à un nouveau divorce. 
Le comportement de Marie Laforêt est alors fantasque... 
Elle enregistre quelques chansons anodines, fait de nouvelles apparitions télévisées juste pour travailler ... avant d' établir une nouvelle union avec l' agent de change Eric de Lavandeyra. 

Et de 1979 à 1987, elle tourne des films très "curieux", où elle se montre sous un jour surprenant.